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Le cadeau empoisonné

ONG et soins de santé dans l’Est du Congo.

I. Bref panorama de la situation générale et sanitaire en rd congo

La RD Congo figure parmi les pays les plus pauvres du monde .L’espérance moyenne de vie y est d’une cinquantaine d’années. La mortalité infanto-juvénile reste très importante, les épidémies de rougeole, choléra… reprennent de plus belle, plus de 75% de la population vit sous le seuil de pauvreté…
Le secteur de la santé y est en grande difficulté : l’offre de soins est insuffisante et de faible qualité, l’accès aux soins y est difficile pour la grande majorité, tant pour des raisons culturelles, géographiques que financières.
Les dépenses de santé/an/habitant étaient en 2010 de 13 dollars.
Sur ces 13 dollars, 7 sont à charge de la population, c’est-à-dire des malades. Pourquoi ? Et que faire pour améliorer la situation ?

Les solutions mises en œuvre jusqu’aujourd’hui sont-elles adéquates, sont-elles suffisantes ?
L’aide internationale est-elle une réponse satisfaisante, durable, digne ?

A l’heure où la communauté internationale réalise que les Objectifs du Millénaire ne seront pas atteints, en tous cas en Afrique, notamment pour ce qui concerne la santé, les questions de l’accès aux soins et du financement de la santé refont surface de façon cruciale.
On tente pathétiquement de mobiliser d’urgence quelques dizaines de millions de dollars dans le secteur de la santé maternelle et infantile, afin de pouvoir présenter quelques améliorations à l’échéance de 2015.
Dans l’Est de la République Démocratique du Congo, les guerres à répétition et l’insécurité qui perdurent ont entraîné l’arrivée et la présence depuis une quinzaine d’années de nombreuses ONG humanitaires en provenance des Etats-Unis et de l’Europe pour l’essentiel.
Elles se substituent souvent aux systèmes de santé locaux existants, s’appuyant sur les crises et/ou les conflits ininterrompus, et sur l'incapacité de l'Etat congolais à offrir des moyens suffisants pour asseoir une politique sanitaire adéquate et surtout d'en imposer les règles du jeu aux partenaires..
Cela n’a pas seulement compromis la pérennité des interventions de santé dans la Province du Sud-Kivu mais a aussi amoindri les capacités locales du système de santé sur le long terme.

Dans le secteur de la santé, ces ONG pratiquent pour la plupart la politique de gratuité des soins. Leur présence qui s’éternise, et leurs modes d’intervention font débat.

Le débat sur la gratuité des soins, particulièrement, est intense, en paroles du moins.
Car nombreux sont ceux qui s’y opposent verbalement tout en s’y accommodant s’ils y trouvent un quelconque profit… Tel qu’il se déploie pourtant, le débat nous semble mal posé.
Il brouille les cartes plutôt que de clarifier le débat et permettre une politique cohérente de santé.

Il est pourtant impératif de bien poser les termes du débat. A défaut, on risque bien de se trouver piéger dans des positions incohérentes.

La santé est un droit de l’homme fondamental.
Ce droit inaliénable est inscrit dans la déclaration des Droits de l’Homme.
Ce droit fondamental à la santé, la conférence internationale d’Alma Ata en 1978 tentera d’en définir les contours et de proposer les conditions de sa mise en œuvre.
Elle nécessitait un changement radical de l’ordre économique du monde. On sait ce qu’il en fut.
Quelques années plus tard, la déferlante néolibérale s’abattait sur le monde.
Dans les pays d’Afrique, malmenés par la première crise de la dette, les Etats se virent imposer les fameux plans d’ajustement structurels par le FMI, et leur capacité de prise en charge des dépenses de santé fut réduite à néant.

Les coûts de la santé sont élevés. Et on peut affirmer que partout dans le monde, mis à part les quelques pourcents de personnes parmi les plus riches, sans couverture de santé, les soins seraient inaccessibles pour le plus grands nombre.
Près de 50 millions d’Américains ne disposent pas de couverture santé et sont pour la plupart totalement incapables de se payer des soins quand ils sont malades.
Cela se passe dans le pays le plus riche du monde…

Légitime dès lors de revendiquer la gratuité des soins ! A fortiori pour les pauvres du Nord et les masses miséreuses du Sud.
Certes. Reste à savoir comment garantir durablement cette (quasi)gratuité, comment et par qui la financer ? Et de se demander si ce qui est mis en œuvre en RD Congo par nombre d’ONG internationales humanitaires est porteur d’avenir, prépare et permet une véritable souveraineté en matière de santé du pays.
Quels intérêts sont-ils servis, qui s’y retrouve, et quelles sont les alternatives concrètes à développer ?

Une étude, menée par une équipe de Congolais, hommes de terrain et chercheurs, s’est déroulée entre septembre 2012 et mars 2013 dans le Sud-Kivu sur la question.1

1. Elle a pu être menée grâce aux financements de plusieurs partenaires : l’ASBL Solidarité Santé Sud, WSM Wereldsolidariteit-Solidarité Mondiale, et le Programme Solidarité Santé Sud-Kivu.

II. La situation
générale du pays

Plus de 70% de la population est dans un état de survie quotidienne, avec moins de un dollar de revenu par jour.
Dans certaines provinces (c’est le cas du Sud-Kivu), la mortalité infanto-juvénile dépasse encore 200/1000.
Dans les provinces de l’Est, début des années 2000, quand la guerre faisait le plein de ses ravages, ce taux a dépassé les 450/1000, c’est dire que près d’un enfant sur deux décédait avant l’âge de cinq ans.
L’espérance moyenne de vie y est encore de moins de cinquante ans. L’OMS estime que les guerres qui ont frappé le pays depuis 2006 auront causé la mort de plus de 4 millions de personnes.
La population croît très vite et est très jeune : près d’une personne sur deux a moins de 15 ans, et les plus de 65 ans ne constitue qu’à peu près 2.5%de la population.

Le pays, déjà très pauvre subit de surcroît, les contre coups de la crise financière internationale. En 2009, son taux de croissance a chuté, ainsi que le PIB par habitant.
Celui-ci est 5 fois inférieur à la moyenne africaine.
En 2012, le budget de l’Etat Congolais dépassait à peine les 7 milliards de dollars (nb : a peine 5% de ce budget est consacré à la santé.).

III. L’état sanitaire de
la population.

La situation sanitaire est profondément dégradée.
Le Congo figure parmi les pays dont les indicateurs de santé sont les plus mauvais.
Certains chiffres sont effarants et donnent froid dans le dos.
L’espérance moyenne de vie y est inférieure à 50 ans. Et, contrairement à ce qu’on observe dans les pays occidentaux, l’espérance de vie des femmes est moins élevée que celle des hommes.
Tribut payé aux violences liées aux conflits, à la mortalité maternelle sans aucun doute, mais aussi aux conditions de vie et de travail des femmes, qui supportent souvent les tâches les plus lourdes.
Il suffit de voir, tout au long des routes du Sud-Kivu, les mamans « camions », comme on les appelle, les femmes qui portent sur leur dos des charges excessives, sur des distances incroyables, chaque jour de la semaine, pour parfois gagner un ou deux dollars la journée…

Le taux de mortalité infanto-juvénile reste très élevé.
Il l’était particulièrement dans les zones de conflits.
Dans la partie Est du pays, début des années 2000, on estimait jusqu’à 408 décès pour mille naissances vivantes.
Dans ces années là, sur l’ensemble du pays, le taux était de 220%.
Ce chiffre représente un peu moins de 500.000 décès d’enfants dans cette tranche d’âge chaque année !

Le ratio de mortalité maternelle qui était de 850 décès pour 100 000 naissances vivantes en 1985 est passé à 1.289 décès pour 100.000 naissances vivantes en 2001.
Ce qui correspond à 36.000 femmes qui mouraient chaque année en couche.
Il était ainsi l’un des plus élevés au monde.

Les données disponibles indiquent que l’épidémie du VIH/SIDA est généralisée en RDC.
En effet, la prévalence du VIH chez les femmes enceintes fréquentant les services de consultation prénatale était de 4,3% en 2008.
Il n’a pratiquement pas bougé depuis lors.
Par contre, les dernières tendances observées semblent indiquer que l’épidémie commence à toucher plus significativement les milieux ruraux, les jeunes et les femmes.
Certaines zones particulières, comme les ports, les gares ferroviaires, les carrés miniers et bien évidemment les zones de conflits armés connaissent des chiffres plus inquiétants et jouent un rôle particulier dans la propagation de l’épidémie.

Le Programme National de lutte contre le VIH-SIDA estime a plus d’un million le nombre de personnes vivant avec la maladie, à plus d’un million encore le nombre d’orphelins du SIDA et à un peu moins de cent mille le nombre de décès liés dus au SIDA en 2010

Le paludisme reste un problème majeur de santé, 97% de la population congolaise est exposée au paludisme endémique.
Chez les enfants de moins de 5 ans, la prévalence de la fièvre est de 42%, ce qui représente de 6 à 10 épisodes maladie/an. Pour l’ensemble du pays, le nombre d’épisodes de fièvre palustre serait d l’ordre de 30 millions par an selon l’OMS.
Le pays fait toujours face à des taux de malnutrition qui se situent au-delà des seuils acceptables sur le plan international.
En termes de chiffres absolus, ces prévalences se traduisent par plus d’un million d’enfants affectés par la malnutrition aigue modérée ou sévère et plus de 6 millions par la malnutrition chronique.

Les carences en micronutriments essentiels pour la survie (vitamine A et fer notamment) sont encore répandues dans le pays.
L’enquête démographie et santé de 2007 montre que 71 % des enfants et 53 % des femmes en âge de procréer sont atteints d’anémie, et en 1998, on a trouvé que 61 % des enfants de 6 à 36 mois souffraient de carence sévère ou légère en vitamine A.
La malnutrition est une importante cause de morbidité et de décès des enfants et des femmes. On estime sa part à plus de 35 % des cas de décès d’enfants de moins de cinq ans.

1. Elle a pu être menée grâce aux financements de plusieurs partenaires : l’ASBL Solidarité Santé Sud, WSM Wereldsolidariteit-Solidarité Mondiale, et le Programme Solidarité Santé Sud-Kivu.

IV. Le système
de santé

Pour être efficace, et efficient, les soins de santé, tant curatif que préventif, doivent s’inscrire dans une organisation générale, un système de santé.

Le système de santé du pays, sur papier du moins, est pointé parmi les meilleurs d’Afrique. Il s’inspire des principes d’alma Ata, préconise le développement à partir des soins de santé primaire.

Pourtant, dans la réalité en RDC, on se trouve face à un système de santé terriblement fragilisé, pratiquement disloqué.
Les infrastructures de santé sont en piteux état, elles manquent d’équipements, de médicaments, de personnel bien formé…
. Les stratégies individuelles, institutionnelles de survie, ou de clientélisme politique qui poussent à la multiplication de structures de formation ou de soins, à la qualité souvent douteuse, prennent le pas sur la logique collective.
La multiplication de bureaux, sous-bureaux de coordination, points focaux de programmes spécialisés verticaux absorbe quantité d’énergie et de moyens.
Les hôpitaux et centres de santé, sensés travaillé selon un échelonnement pertinent et efficient de la prise en charge, se font de plus en plus concurrence ; le travail en équipe est insuffisant. …).
Les structures de l’Administration publique se voient débordées par les ONGI qui mettent en place des circuits parallèles d’approvisionnement en médicaments, de soins curatifs, de systèmes d’information sanitaires. La faiblesse du leadership du Ministère de la Santé, tant fédéral que provincial est évidente.
Le manque de moyens, de compétences, l’exode des cadres les plus qualifiés ont entrainé une perte considérable de capacité de leadership des autorités publiques sur la politique de santé.
Ce sont aujourd’hui les grands bailleurs internationaux qui fixent l’agenda, les priorités, les procédures, et imposent leur philosophie-idéologie, leurs outils de planification, d’évaluation, et d’information et leurs règles. L’état se reconstruit certes, mais le chantier est immense et prendra du temps.

V. La gratuité
des soins

On ne s’étonnera pas de trouver parmi les grands défenseurs de la gratuité les ONG d’urgence humanitaire, présentes en nombre dans l’Est du Congo depuis une bonne quinzaine d’années.
(Dans le Sud-Kivu - un territoire grand comme deux fois et demi la Belgique -, on dénombre cinquante-huit organisations non gouvernementales internationales d’urgence et de développement majoritairement basées en Europe et aux États-Unis, six organisations internationales telles que la Banque mondiale et la Coopération technique belge et treize agences des Nations unies. In La revue nouvelle. Ch. Maisin.)
Le G20 également s’est prononcé en sa faveur : «  …ces politiques de gratuité, lorsqu’elles bénéficient d’un financement durable et d’une bonne planification, améliorent considérablement l’accès aux soins et apportent une protection financière non négligeable face aux risques de maladie… »

Est-ce vraiment le cas ? Ou bien, comme le dénoncent d’autres voix, la politique de gratuité, telle qu’elle est aujourd’hui mise en œuvre dans le Sud-Kivu, engendre t’elle de multiples frustrations, un manque à gagner pour les acteurs locaux de la santé, et finalement, complique les situations plutôt que de les résoudre ?

L’étude qualitative que nous avons menée de novembre 2012 à février 2013 tente d’éclairer la question. Elle fait parler les bénéficiaires, les acteurs publics, privés, associatifs, compare différentes zones de santé et différentes approches.
Elle veut mettre en lumière les impasses, les interrogations, les effets pervers des logiques mises en œuvre, mais aussi les fausses évidences, les accusations non fondées, les conclusions hâtives, les impacts faussement attribués à telle ou telle politique.

Nous sommes bien conscients des multiples facteurs qui déterminent leur réalisation concrète et de l’écart important qui peut exister entre les intentions et objectifs affichés par les décideurs et la concrétisation sur le terrain marquées par des facteurs externes indépendants de la volonté des initiateurs.

Notre équipe a du faire face à de nombreuses difficultés. Les premières interviews des ONG humanitaires étaient sollicitées dès septembre 2012.
La méfiance fut d’emblée au rendez-vous.
Demandes de terme de référence, d’autorisations, d’explicitations sur les objectifs et les suites prévues retardèrent le processus durant plusieurs longues semaines.
Les demandes de rencontre restèrent longtemps lettre morte… Du côté des prestataires, c’était la peur de s’exprimer qui dominait.

VI. De quoi
parle-t-on?

Dans le Sud-Kivu, ACF Action Contre la Faim, AMI-PU Aide Médicale Internationale-Première Urgence, CRS Catholic Relief Service, IMC International Médical Corps, IRC International Rescue Comitee, MSF Médecins sans Frontières, Malteser… ont adopté de manière sélective l'approche de la gratuité totale ou de semi gratuité des soins.
MSF Hollande et Espagne ont appliqué la gratuité totale dans les zones de santé Baraka, Kimbi Lulenge en territoire de Fizi axe sud du Sud Kivu, à Bunyakiri, Kalonge dans le territoire de Kalehe dans l'axe nord de la province ainsi que dans le territoire de Shabunda un peu à l'ouest de la province.
L'IRC a opté pour la semi gratuité dans une partie de la zone de santé de Kalehe (Hôpital d'Ihusi,…) et dans le territoire de Kabare (Hôpital de Mukongola), Malteser International s’est implanté à Walungu (Hôpital FSKI au sud ouest) ; International Médical Corps (IMC) était présent dans la plaine de la rivière Ruzizi dans le territoire d'Uvira et même au nord Kivu ; le CICR était à Fizi, Uvira et Shabunda…

Les interventions des bailleurs consistent la plupart du temps en quelques investissements dans les infrastructures, en approvisionnement de médicaments, in prise en charge partielle des rémunérations du personnel et des frais de fonctionnement des hôpitaux, centres de santé ou bureaux de zones de santé.

Les différents acteurs de terrain rencontrés et interviewés se sont longuement exprimés, parfois après quelques craintes et réticences.
La vision et les analyses qu’ils expriment sont sans doute partielles, partiales, incomplètes.
Elles attribuent parfois à tort aux ONG humanitaires des maux qui rongent le système et dont les causes sont multiples, complexes, et liées à des facteurs indépendants des politiques de gratuité.
Pourtant, elles mettent aussi le doigt sur des réalités évidentes qu’on ne peut ignorer.
Les intuitions générales vont souvent dans la même direction.
Le regard porté sur les politiques de gratuité des ONG humanitaires est critique. Le constat général est amer.

On ne peut pourtant nier le besoin ni certains résultats sur le terrain.
La population pauvre et incapable de faire face seule aux coûts de la santé quand la maladie se présente, est en réelle attente de gratuité (ou quasi-gratuité des soins).
Elle l’exprime clairement et craint souvent le départ des ONG qui imposent la gratuité des soins dans les zones de santé soutenues.
Ainsi par exemple à Baraka/Fizi, la population affirme refuser le désengagement de MSF-H, elle s’est déclarée prête à casser les ponts et à barricader la route s'il advenait que ce partenaire se désengage.
Les raisons de cet état d’esprit sont sans doute multiples et complexes.
La nécessité vitale est évidente dans un certain nombre de situations. Pourtant, il faut aussi à notre sens pointer du doigt la mentalité attentiste et d’assistés perpétuels générée tant par une colonisation Belge mêlant prédation et paternalisme envers les populations que par les années Mobutu.
Pendant son règne, s’est installée en douce la pratique de « Don de/du …1 Maréchal Mobutu…, Roi de…, Mama Yemo… » Et ceci plus particulièrement dans les secteurs sociaux dont la santé.
Ce faisant, on a ainsi miné toute initiative d’auto prise en charge, sans compter l’incidence sur la conception de l’Etat et son rôle nécessaire dans l’organisation des services publics de base.

Par la suite, les longues années de guerre qui ont précipité les populations dans une misère effroyable n’ont bien entendu pas contribué à redonner le goût de s’en sortir seuls et ont renforcé la politique de la main tendue.
La présence massive d’ONG occidentales 2, avec leurs cohortes d’expatriés étalant sans discrétion aucune des modes et des niveaux de vie qui ne peuvent qu’apparaître que luxueux pour la population locale ne peut que perpétuer un état d’esprit attentiste et quémandeur.

La diminution de taux de mortalité, l’augmentation de taux de scolarité, la prise en charge pour les grandes épidémies comme le choléra, l’absence ou la diminution des cas de maladie à domicile ou des ventes de bétail et des parcelles pour se faire soigner, le maintien du capital familial sont indéniablement des effets à court terme de la politique de gratuité des soins.
Les prestataires de soins des zones concernées par la gratuité relèvent les avantages de celle-ci : taux de fréquentation et utilisation des services plus élevé, des malades qui viennent de partout notamment en pédiatrie et en maternité, un taux d’accouchements assistés en croissance, une détection précoce des maladies, la maitrise de l’épidémie de choléra et du paludisme, la réduction de taux de mortalité et de morbidité, les malades se rendent plus vite à l’hôpital, sans attendre la dernière extrémité…

Mais les limites sont nombreuses.
Certaines pathologies comme la hernie, le diabète et d’autres maladies ne sont pas prises en charge,(ou ne le sont que pour des catégories très ciblées), l’augmentation de fréquentation se traduit très vite par une sur fréquentation qui a pour conséquence la surcharge du personnel, une baisse de la qualité de la prise en charge, la sur-occupation des lits (plusieurs malades par lit), la rupture de stocks de médicaments…font inévitablement partie du décor.

Impact sur les prestations et le traitement du personnel.

Dans le mental collectif local il n'y a pas de qualité de soins dans la gratuité. Les prestataires des soins relève d’ailleurs la négligence dans le suivi des soins et des recommandations médicales par les patients ayant bénéficié de soins gratuits.
On note aussi l’impact négatif sur l’image des prestataires y compris sur les concernés eux-mêmes qui parlent de sentiment d’humiliation.
En gratuité, les prestataires des soins sont considérés comme moins compétents, Ils ne rempliraient pas leurs tâches correctement, les infirmiers font la consultation.

Les rémunérations du personnel sont fixées par le bailleur. De nombreuses plaintes sont exprimées par les personnels : jours fériés pas pris en compte ni les congés de circonstance.
Un grand sentiment de frustration sur les questions de revenus, de respects des droits du personnel se développe.

Les infrastructures et les frais de fonctionnement.

Parmi les appuis apportés aux ZS figurent la construction et/ou la réhabilitation des infrastructures sanitaires.

Dans la pratique, les partenaires de la Gratuité ne consultent pas les bénéficiaires et ne les font participer aux planifications ou évaluations, l’inadéquation entre les réalisations et les besoins réels sont dès lors monnaie courante, avec comme conséquence la non appropriation de l'ouvrage au départ du partenaire.

De plus, les usagers des infrastructures estiment que les frais alloués pour faire fonctionner les structures sont insuffisants, et les acteurs de la Société Civile rencontrés se plaignent de ne pas connaître la hauteur de fonds déployés à ces constructions/réhabilitations et se posent de nombreuses questions au regard de la qualité souvent faible des ouvrages remis.
Et dénoncent dans la foulée la publicité outrancière faite par ces mêmes ONG à leurs réalisations. Ainsi, on verra par exemple à l’entrée de l’Hôpital de Mukongola à Kabare un grand panneau tout neuf vantant la réhabilitation de l’hôpital par IRC… qui reste pourtant dans un état de délabrement inquiétant !
Les frais de fonctionnement que propose l'ONG porteuse de la gratuité ne supportent pas tous les besoins de fonctionnement d'une aire de santé.
Ainsi par exemple, le service de l'ambulance coûte en fonction des distances à parcourir, la facture est fixée arbitrairement à 5$ quelle que soit la distance et les conditions climatiques.
Ce tarif ne peut couvrir les frais réels des ambulances...
De façon générale donc, les ONG humanitaires imposent une tarification symbolique en contrepartie des intrants et frais de fonctionnement accordés à la structure de santé, minimisent les frais de maintenance et d’entretien permanents.
Tous les acteurs de terrain dénonceront de façon unanime l’insuffisance notoire des moyens mis à disposition au regard des exigences imposées en terme de tarifs.
Si on devait estimer qu’une politique de gratuité se justifie, il faut alors au minimum y mettre les moyens suffisants et en conséquence.

La fréquentation des structures sanitaires.

La fréquentation d’une structure sanitaire peut être perçue comme un indice de la qualité des prestations qui y sont livrées.
Dans les cas de gratuité de soins, il en va autrement. On assiste partout à une sur fréquentation qui influe alors négativement sur la qualité de la prise en charge et des soins procurés ainsi que sur la charge de travail des personnels.

La « demande » a explosé et les services sanitaires ne peuvent pas suivre l’engouement, c'est le cas du CS (initialement à 150 et actuellement à 950/1000 cas par semaine) et du CH de Baraka/Fizi dans le Sud de la province.
La situation a été la même au Burundi où l'Observatoire de l'Action Gouvernementale a constaté que la qualité s'est dégradée depuis que la gratuité a été installée.

Les zones de santé concernées connaissent aussi une grande demande des soins en provenance d’autres zones (à Kabare et à Kalehe, on rencontre de nombreux cas en provenance de Goma même qui se situe au Nord-Kivu).

Déséquilibres à l’intérieur d’une zone,

La gratuité privilégie souvent quelques structures. De ce fait, elle crée un déséquilibre et fragilise les autres se trouvant dans une même ZS.
Elle déloyalise/infidélise les populations vis-à-vis de leurs formations sanitaires initiales.
Par rapport aux prestataires des soins dans une même ZS, le système des primes au personnel au sein des structures appuyées engendre des conflits interpersonnels, des jalousies.
Tout le monde veut travailler là où se retrouve d’éventuels avantages pécuniaires.
Un cas éloquent est celui de Baraka/Fizi où beaucoup de prestataires de soins voulaient être affectés dans les structures à gratuité.

De même entre ONG urgentistes elles-mêmes, les difficultés surgissent.
Malteser s’est vu totalement déséquilibré à Kalonge dans le Territoire de Kalehe où MSF pratique la gratuité totale pour huit Centres de Santé sur les vingt existants dans le coin.
Chez MSF la fréquentation atteignait jusqu'à 200%. Les autres Centres des Santé non pris en charge ou appuyé selon d’autres modalités par Malteser ont connu de grandes difficultés

De plus, on observe une dégradation forte du respect de l’itinéraire de soins.
Les centres de santé, sensés prendre en charge la 1ère ligne, les soins ambulatoires, se voient désertés au profit des structures hospitalières dans lesquelles la gratuité de soins est de règle.

Et déséquilibre avec les zones de santé mitoyennes…

La proximité des zones de santé de Katana et de Miti-Murhesa avec celles de Kabare et de Kalehe n'est pas sans impact négatif sur la vie des premières.

Ainsi, à la Fomulac/Katana, on observe que 70% des malades référés n'arrivent plus à l'HGR, mais se rendent vers Kalehe, une diminution des accouchements assistés dans la zone car les femmes vont accoucher à Kalehe.
Le circuit de référence des femmes enceintes des aires de santé proches de Kalehe est perturbé.
Le taux d'occupation à la maternité chute, et avec lui, les recettes nécessaires…Le taux d'occupation de l'hôpital général a connu une chute importante.
Le recouvrement des frais de soins devient très faible dans la ZS. Les Aires de Santé voisines de Kalehe et celles longeant la route principale pour le cas de la Fomulac (c.-à-d. les CS de Mabingu, Ihimbi, Kadjuchu, Kabamba, Katana-Nuru, Kabushwa et Mugeri) ont un taux d'utilisation trop faible. Pour les patients c'est moins coûteux de prendre une moto ou un véhicule pour aller se faire soigner à Kalehe pour un tarif dérisoire que de payer plus sur place.
D'autres traversent le Parc National Kahuzi-Biega « PNKB » sans par ailleurs mesurer risques sécuritaires dans un coin encore infesté de groupes armés, afin de se rendre à Kalonge où s’applique la gratuité totale avec MSF-Espagne…

A Miti-Murhesa, les AS de Kalwa, de Cifuma, de Kajeje très proches de la ZS de Kabare connaissent elles aussi un manque à gagner considérable pour hospitalisations et les accouchements.

Des résultats certes, mais limités dans l’espace et le temps…

Les maladies pédiatriques courantes dans la région sont à la base du taux élevé de la mortalité infantile.
La prise en charge des enfants de 0 à 5ans a redressé sensiblement la situation, mais l’unanimité de ces résultats reste relative dans l’espace par rapport au système de santé en Province dans la mesure où la gratuité ne couvre que quelques parties précises de la Province.
Relative aussi dans le temps, car dès que les enfants ont dépassé l’âge de 5 ans, le dispositif de gratuité s’arrête brusquement pour eux… sauf à « tricher » sur l’âge réel des enfants comme nous l’avons observé.

Les taux d’accouchements assistés qui s’améliorent eux aussi ne résistent pas à la fin de la période de gratuité.
La ZS de la Katana/Fomulac a connu la gratuité totale avec l’IRC entre 2001-2003, durant la guerre menée à l'Est de la RD Congo par Rassemblement Congolaise pour la Démocratie (RCD/Goma).
Au départ du partenaire la Fomulac a connu une chute du taux d'utilisation de 75% à 35%.
La même expérience malheureuse s’est vérifiée à l’hôpital général de référence d’Uvira. La communauté ne s’est pas adaptée aux tarifs des soins après gratuité.
En 2006, la zone a commencé à se relever essentiellement grâce à d’autres appuis dans les aspects fonctionnels et pour la fourniture des inputs conçus comme appui au renforcement du système.
Pour l’IRC et nombre de protagonistes de la politique de gratuité cependant,, la diminution de la mortalité infantile, le taux de fréquentation, le taux d’accouchement… restent des arguments déterminants en faveur d’une politique de gratuité.
Certes, mais la question de la pérennisation et de la généralisation du système reste entière.
Quand ces questions ne sont pas bien posées et qu’a fortiori, elles ne trouvent pas de réponses adéquates, les effets positifs passagers des politiques de gratuité déployées s’avèrent être des trompes l’œil.

Car au départ du partenaire la situation change rapidement, pour revenir aux chiffres initiaux, voire inférieurs.
IMC a renoncé définitivement au système de gratuité après avoir évalué les conséquences néfastes de la pratique de celle-ci deux ans après son désengagement au Nord-Kivu.

C’est également le cas à Walungu avec le désengagement de Malteser en 2008 où la situation nutritionnelle des enfants appuyés par celui-ci est devenue plus inquiétante qu’avant l’intervention.
Malteser a d’ailleurs tiré les conséquences de son évaluation et a renoncé à la gratuité des soins et soutient désormais le développement des mutuelles de santé.

Sans plan de sortie préalable concerté et mis en œuvre bien avant le désengagement, tout s’écroule.
A Fizi/Baraka par exemple la population interviewée craint le pire au départ de MSF-H et par conséquent boude tout éventuel projet du désengagement du partenaire.

L’Etat trop absent.

Pour nombre d'acteurs locaux du Sud Kivu, le fait que l'Etat congolais ne contrôle ni n'évalue régulièrement l'action des humanitaires et que ces derniers n'associent préalablement pas les bénéficiaires dans la planification de leurs activités, tel que voulu par le Protocole de Paris 3 (mars 2005) sur l'alignement de l'aide au développement, explique la menace "relative" que fait peser le système de gratuité des soins sur le développement de la province.
Ce n’est pourtant pas faute de règlements et de textes législatifs.
La RD Congo dispose de textes législatifs et de règlementations qui visent à régir ses relations avec les ONG extérieures et à cadrer leur travail.

Le vade me-cum du partenariat dans le secteur de la santé de septembre 2003 en est un. Par ce document, l'Etat congolais a voulu créer un vrai partenariat avec les ONG et les organisations confessionnelles qui appuient actuellement plus de 60% des structures fonctionnelles du pays.

L’Edit N° 02/2010 du 07 Octobre 2010 pris par la province du Sud Kivu en est un autre exemple.
Cet édit porte sur les dispositions générales applicables aux asbl, aux ONG Internationales et Nationales ainsi qu’aux Etablissements d’utilité publique œuvrant dans le domaine humanitaire et de développement en Province du Sud-Kivu et veut combler certaines lacunes de la loi 004/2001 du 20 Juillet 2001 sur les asbl conformément à la nouvelle configuration du pays afin d’améliorer la capacité d’intervention des partenaires humanitaires et de développement ainsi qu’à augmenter leur efficacité sur terrain.

Il existe encore au Sud-Kivu des protocoles et conventions de partenariat avec les humanitaires L’Arrêté Provincial N°11/025/GP/SK donne au gouvernement provincial la prérogative de conclure avec les ONG des conventions de partenariat qui définissent dans ses articles 30 à 40 les droits et les obligations des parties dans les matières qui relèvent de la compétence de la Province ; c’est naturellement le cas de secteur de la Santé dans le système décentralisation.

Mais hélas, la pratique est loin de suivre ces règles. Du côté des autorités publiques, elles sont peu suivies.
La faiblesse des institutions de l’Etat et la corruptibilité de certains de ses agents les rendent incapables de faire appliquer le droit sur le terrain.
Quant à elles, les ONG ne montrent guère d’enthousiasme à les respecter et profitent souvent de leur position de force en matière de financement pour passer outre et les ignorer.
« Le critère des choix de nos bénéficiaires est orienté par la vulnérabilité des enfants, femmes enceintes et victimes des violences, les urgences chirurgicales, l’indigence des populations dans la communauté », affirment-elles. Peut-être, mais ces critères sont choisis, définis et mis en œuvre à partir de l’étranger, dans les grandes capitales occidentales ou les sièges centraux des grandes ONG.
Cela conduit à des situations absurdes.
On peut voir plusieurs ONG œuvrer dans le même axe, pour les mêmes interventions et les mêmes bénéficiaires…

Les critères d’éligibilité, les conditions d’orientation pour l’accès à la gratuité des soins de santé dans la Province du Sud-Kivu, sont donc déterminées par l’ONG internationale partenaire selon des critères souvent subjectifs liés aux ressources disponibles ainsi que de son domaine d’intervention, et sans concertation avec les pouvoirs publics.
Le respect du principe de souveraineté des pays qui implique de ne pas agir à l’intérieur des frontières d’un État sans son approbation ou adéquation avec ses politiques se voit bafoué et nié dans les faits.
Les ONG refusent de prendre en compte les frontières et se prévalent de soulager ceux qui d’après elles souffrent, quel que soit l’avis du gouvernement de l’endroit qu’ils habitent.
Les ONG revendiquent ainsi, au nom de l’universalité des droits de l’homme, ce qu’on appelle le « droit d’ingérence humanitaire4 ».

Il n’est pas question de nier la pertinence et la nécessité de l’approche urgentiste dans un certains nombre de situations.
Encore faut-il que celles-ci soient balisées, définies par les autorités ou à tout le moins en accord avec elles.
Les protocoles d’accord qui balisent la politique de gratuité de soins dans une situation d’urgence humanitaire existent souvent, mais ils ne sont pas suivis ni respectés.
Les promesses faites avant l’arrivée ne sont pas tenues, eu côté de l’Etat, on ne se soucie guère de le vérifier.

De nombreuses questions se posent. Comment se fait le choix des zones soutenues par les ONG humanitaires ? On l’a déjà souligné, les zones d’urgence qu’elles définissent selon leur critères ne correspondent pas à la cartographie de l’autorité provinciale.
Et si pour certaines zones, les critères sont évidents et qu’en effet, la situation peut être qualifiée d’urgence, c’est moins évident dans d’autres cas.
Il n’est par ailleurs pas normal, dans le cadre d’un Etat souverain, que le choix ne s’opère pas au minimum en concertation avec les autorités, même si à cet égard, il faut souligner les efforts des autorités provinciales pour reprendre le leadership.
Pourquoi l’ensemble des aides ne sont-elles pas collectées par l’Etat qui jouerait son rôle en définissant les priorités, la durée des soutiens, des perspectives de sortie…
L’Etat est ainsi dépossédé du pouvoir et du rôle qui doivent être le sien.
Le fonctionnement certes très imparfait de l’Etat Congolais à ce jour ne peut servir de prétexte pour poursuivre des politiques qui empêchent sa nécessaire reconstruction.

Impact négatif sur le développement des mutuelles de santé.
Une politique d’urgence humanitaire qui s’éternise et tend par là même à s’ériger en système ne peut que contrecarrer les efforts fournis pour faire émerger des logiques de financement durable et solidaire des coûts de santé.
C’est clairement le cas sur le développement des mutuelles de santé.
Kabare et Kalehe sont des zones de santé appuyées par des ONG qui exigent la gratuité des soins (partielle).
Depuis plusieurs années, des mutuelles de santé tentent de s’y développer.
Elles rencontrent bien entendu de grandes difficultés à recruter des adhérents et à les fidéliser.
Ainsi par exemple à Kabare où la gratuité ciblée a commencé en 2011  les adhésions des MUSA en 2012 ont chuté de 25%, soit une perte de 721 membres par rapport en 2011.
La pauvreté n’explique pas tout, car d’autres zones aussi pauvres connaissent des résultats bien meilleurs.

L’urgence humanitaire contre le développement ? Les logiques humanitaires estiment tenir leur légitimité des situations « catastrophiques » auxquelles sont confrontées des populations. Ces catastrophes peuvent être naturelles ou conséquences de guerre.
Elles existent à coup sûr.
Encore faut-il souligner qu’elles n’ont pas le même impact sur les populations selon qu’elles se passent dans un pays ou un autre. Les conséquences de violents séismes comme un tremblement de terre, une irruption volcanique… ne seront pas les mêmes au Japon ou en RD Congo !
La catastrophe est bien plus évidente dans un contexte de grande pauvreté, d’Etat faible, avec infrastructures défaillantes, ne disposant pas de procédures et plan de prévention ou de gestion des catastrophes…

Les séismes dits naturels se déroulent bien souvent dans des contextes de séisme politiques, économiques et sociaux qu’on préfère occulter, mais qui n’en constituent pas moins la véritable cause des drames humains auxquels il faut faire face.
Les situations de famine rencontrées à certaines époques en Afrique ne furent jamais provoquées par la seule sécheresse.
Les conflits en cours en constituaient aussi un déterminant majeur Les interventions humanitaires peuvent bien entendu s’avérer utiles et nécessaires.
Mais si elles dispensent d’une réflexion sur les causes profondes des réalités vécues, ou pis encore si elles bloquent l’émergence de logiques de souveraineté et de développement durable, elles se rendent complices des mécanismes économiques et politiques qui sont à l’origine des inégalités entre les peuples et entre les humains, qui les perpétuent et les approfondissent.

Ainsi par exemple, il faut s’interroger sur les pratiques du PAM (Programme Alimentaire Mondial), qui, pour faire face aux problèmes de sous-alimentation dans le Sud-Kivu, distribue gratuitement des farines importées dans certaines zones.
Ces farines ne correspondent souvent pas aux habitudes alimentaires des populations qui parfois, s’empressent de les revendre pour acheter la farine de manioc ou de sorgho.
De plus, cette politique d’importation a considérablement freiné le développement de cultures locales à partir desquelles était produite la farine de masoso, très nutritive et qui permettait le développement économique agricole local.

Ces considérations choquent souvent en occident, car l’humanitaire y est connoté positivement et, il est vrai que celles et ceux qui s’y engagent ou qui le soutiennent par des dons, contributions… le font toujours de bonne foi, convaincus de participer à un cause noble.

L’humanitaire, l’urgence sont en réalité devenus de nouveaux marchés pour lesquels les batailles font rage entre ONG.
Nombre d’entre elles sont devenues de véritables « multinationales » de l’humanitaire, employant plusieurs milliers de personnes de par le monde, disposant de budgets structurels considérables qu’elles doivent s’efforcer de préserver et d’augmenter.
Dès lors, la concurrence est forte, la lutte pour la visibilité grande.
A grand renfort d’images insoutenables qui s’apparentent à du voyeurisme, les ONG tentent d’émouvoir et de mobiliser la générosité citoyenne dans les pays développés.

Cyniquement, il est arrivé à certains acteurs de la Monuc en RD Congo de déclarer «  no Nkunda, no job » (Nkunda était le général rebelle rwandophone de CNDP, soutenu par Kigali et qui a mis le Nord-Kivu et Bukavu à feu et à sang durant les années 2000), indiquant ainsi clairement que leurs revenus et les devises qui rentraient dans leurs pays étaient conditionnés par la situation de guerre à l’Est du pays et que la paix serait pour eux une mauvaise affaire.
N’en va-t-il pas de même pour nombre d’ONG occidentales ?
L’action humanitaire s’appuie sur des ressorts multiples (la compassion envers les victimes, la mobilisation des opinions occidentales, la rapidité de l’intervention, la visibilité de l’action…) qui tous ont tendance à occulter les causes profondes des catastrophes.
Ce faisant, elle bloque toute approche politique des réalités et des réponses à apporter. La question de la reconstruction de l’Etat, de l’économie, des structures sociales est d’autant retardée.
Et le pays reste toujours aussi vulnérable et démuni pour faire face aux défis sociaux, voire aux nouvelles situations de catastrophe qui peuvent survenir.
En outre l’hypermédiatisation de l’élan humanitaire international a pour effet d’occulter le travail et la mobilisation locale pour faire face aux drames.
Ainsi à Bukavu en 94, dans la foulée du génocide, des dizaines de milliers de réfugiés se massaient dans la ville et ses abords.
Les grands acteurs de l’urgence humanitaire se sont mis en branle et se sont mis en spectacle… avec peu d’efficacité.
Il aura fallu la mobilisation des Eglises locales, en concertation avec ce qui restait d’Etat à l’époque, pour que la prise en charge sanitaire des réfugiés prennent un peu d’allure et se révèle un tant soit peu efficace, tout cela, sans grande visibilité et sans écho médiatique en Occident.

Il faudrait encore évoquer les impacts indirects mais bien réels, tels la hausse des loyers, (les prix des maisons à louer dans le quartier de Muhumba, au bord du lac à Bukavu ont flambé.
Il n’est pas rare de voir des loyers à 1500 ou 2000 dollars) celle de nombreux biens et marchandises ou services.
Ainsi à Bukavu, la location d’un 4x4 pour une journée peut se monter à 200 dollars hors carburant…Ou les cadres, fonctionnaires, médecins débauchés par les ONG qui paient des salaires bien plus élevés que ne peuvent proposer les institutions locales.
Ils ne sont pourtant recrutés que pour les tâches d’exécution de terrain.
La division du travail opère en plein, entre ONG internationales et ONG locales réduites au rôle d’exécution de terrain au mieux, à l’intérieur même des ONG occidentales, entre expatriés et personnel local.
Ou encore l’accentuation de la dollarisation de l’économie à cause de la masse de dollars injectés pat les opérateurs internationaux.

Nous l’avons suffisamment fait apparaître : les politiques de gratuité de soins, telles qu’elles sont mises en œuvre par les grandes ONG occidentales posent de nombreuses questions.
Elles posent certes une question réelle et pertinente.
Comment rendre l’accès aux soins possible pour une population aux revenus si faibles, dans le cadre d’un Etat disposant de moyens trop faibles et dont les bonnes orientations sont trop souvent minées de l’intérieur par l’inefficacité et la corruption.

Mais, mis à part quelques effets de court terme sur les indicateurs de santé, il est clair que leur vision et leurs stratégies n’est ni efficace en terme de mobilisation suffisante de fonds, ni durable.
Elles bloquent l’émergence, le développement et la consolidation de système de santé et de financements de celle-ci, durables, solidaires et endogènes.


2.. Très visible sur les ambulances, les Hôpitaux et Centres de Santé, matériel et autres infrastructures comme des machines, les appareils, les emballages des médicaments…
3.. Elles se concurrencent de plus en arborant ostensiblement drapeaux, logos… sur les véhicules4x4, les immeubles loués à gros prix…
4.. Dans la Déclaration de Paris les engagements ont été formulés en termes d'"Engagements de Partenariat », conçus dans l’esprit de la responsabilité mutuelle et basés sur les leçons apprises de l’expérience afin d’exprimer le fait que le changement de comportements était nécessaire aussi bien pour les bailleurs de fonds que les pays bénéficiaires.
5.. Microsoft Encarta 2009. 1993-2008 Microsoft Corporation.

VII. Comment faire du droit à la santé, une réalité?

Les politiques de santé sont importantes.
Elles ne pèsent pourtant que partiellement sur l’état de santé d’une population et n’en constituent pas le facteur déterminant.
De nombreuses études l’ont démontré, il n’y a pas de corrélation entre le niveau de dépenses médicales et le niveau de santé, entre le niveau de santé et le taux de consommation de soins médicaux.

Pourtant, dans les discours et les analyses sur la santé, les causes véritables de la mauvaise santé sont souvent éludées.
Parmi elles, la pauvreté, les inégalités jouent un rôle majeur.
L’exploitation du pétrole, des minerais, dans un contexte d’où sont absentes toutes normes, règles de protection sociale ou environnementale fait des ravages sur la santé des travailleurs et des populations vivant à proximité des sites d’extraction.
Les conflits et les guerres tuent principalement dans la population civile.
Leurs causes sont multiples, croisées, complexes… A coup sûr pourtant, le contrôle et la main mise sur les ressources et les richesses d’une contrée figurent parmi les déterminants les plus forts.

Le projet de santé pour tous, véritable et durable s’oppose radicalement à la vision marchande et néolibérale encore dominante aujourd’hui.
Il s’appuie sur un internationalisation véritable des droits humains, le respect de la justice économique et sociale, la prise en compte de la question environnementale ,le respect de la richesse des cultures, la démocratie vivante dans toute les sphères de la société comprise non seulement comme droits politiques, droits d’expression , mais tout autant comme droits économiques et sociaux.

Le projet de santé pour tous rejette la charité et l’aide internationale en tant que source de financement quand celle-ci se fait instrument de recolonisation des économies des pays pauvres, quand, soi disant fondé sur des partenariats « égaux » ou sous couvert de partenariats publics privés, elles privilégient l’approche néolibérale et marchande, avec la complicité consciente ou non de multiple ONG internationales ou locales.
Il s’inscrit dans la perspective pour les états du Sud de retrouver leur souveraineté pleine et entière, et de pouvoir ainsi par eux même, satisfaire les besoins fondamentaux et légitimes de leur peuple.

Pas de bonne santé sans politiques sociales.

Nous l’avons dit :
il n’y a pas de corrélation entre le niveau des dépenses médicales et le niveau de santé.
Il ne s’agit pas, en affirmant cela, de minimiser l’importance des soins de santé et de leur qualité.
Mais la bonne santé est d’abord le résultat de conditions de vie, de politiques économiques, sociales qui déterminent l’efficacité des soins de santé.
L’analyse des conditions sanitaires et des indicateurs de santé par continent, par pays montre clairement que les conditions de santé s’améliorent significativement là où les forces sociales de progrès sont fortes et/ou dominantes, et où en conséquence les politiques assurent une redistribution plus égalitaire et affectent les ressources disponibles à de véritables politiques sociales qui visent le bien être de tous.
Les droits humains ne sont pas donnés, ils se conquièrent.
Là où ils sont réalité, ils ont été conquis par de longues et âpres lutes sociales et politiques.

Mais pour être efficace, pour être capable de transformer l’expérience, l’action pratique en force politique, les mouvements sociaux doivent pouvoir s’appuyer sur des organisations puissantes, structurées, capable de mobiliser les moyens, les militants, de faire émerger des dirigeants à la hauteur des défis…
C’est une constante incontournable de l’histoire du progrès social : il ne peut être réalité sans luttes sociales, et les luttes sociales sont efficaces sans organisations sociales puissantes. Le secteur de la santé ne fait pas exception à cette règle.

La participation populaire, la voix de la population, indispensable dans la réalité d’un système de santé, ne peut être effective que par la médiation d’organisations fortes et représentatives.
De quel pouvoir réel de négociation peuvent en effet disposer des personnes seules, isolées, de surcroit fragilisées par la maladie, face aux médecins, aux prestataires, aux structures de santé ?
Les mutuelles de santé sont une voie possible pour avancer vers ce droit réel à une bonne santé. Les expériences qui se développent au Sud-Kivu ont des résultats positifs : par la mutualisation du coût via une cotisation annuelle et individuelle faible, elles prennent en charge la majeure partie des frais réclamés aux patients.
Ceux-ci se rendent dès lors plus nombreux et à temps dans les structures sanitaires (pour autant que des soins de qualité y soient délivrés).
Les taux de fréquentation de l’hôpital sont, pour la population mutualisée du Sud-Kivu, comparables avec ceux qu’on observe dans les pays Européens où les malades bénéficient d’une couverture santé.

Contractant avec les prestataires, pour sécuriser les tarifs et cadrer la qualité de l’offre, les mutuelles de santé jouent à leur niveau un certain rôle régulateur.
Celui-ci devrait être renforcé, consolidé et généralisé par l’autorité publique.

Les Mutuelles de Santé constituent de facto une « voix de la population » dans les questions de santé qui la concerne en premier chef.
Elles sont un exemple vivant d’organisations populaires de la santé.
Avant d’être un outil technique de financement de la santé, elles sont l’outil social et politique des communautés qui décident de se prendre en charge et d’avoir leur mot a dire dans les politiques tarifaires, l’organisation des soins, leur qualité…

Enfin, bien qu’encore peu nombreuses et fragiles, elles peuvent se révéler un véritable embryon d’un système de financement de la santé endogène et solidaire pour le pays, sur lequel l’Etat devra pouvoir s’appuyer pour rendre effectif la couverture universelle tant réclamée et attendue.
Elles permettront de rendre effective et durable une politique de quasi-gratuité des soins tout en assurant le financement des coûts de la santé que chacun sait en augmentation.

Aujourd’hui, face aux échecs manifestes des autres politiques menées, l’intérêt pour le projet mutuelliste monte en puissance.
Mais le temps est compté. Il faudra que les acteurs de terrain, soutenus par l’Etat, prouvent, résultats à l’appui que le chemin est pertinent et constitue réellement un espoir sérieux pour un accès généralisé à des soins de qualité.
Le pari est loin d’être gagné, mais la volonté et l’enthousiasme sont manifestes, et les premiers résultats sont encourageants.


Adrien ZAWADI
Emmanuel RUGARABURA
Luc DUSOULIER

Le 20.02.14.

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